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lundi 16 avril 2007

L'Histoire du KONPA racontée : Notes autour du KONPA….

Le 25 juillet 1955, le fondateur du Conjunto Internacional, le maestro Nemours Jean-Baptiste, se heurta à un petit groupe de musiciens qui ne voulaient pas de lui. Ces derniers prétendaient que Nemours avait galvaudé notre danse nationale, avec une certaine musique basée essentiellement sur des rythmes folkloriques joués pour la galerie depuis les temps immémoriaux, tels que: radas, pétros, congo... En d'autres termes, bien avant l'arrivée du jazz dominicain el Tipico Cibaeno à Port-au-Prince, notre musique de danse (le compas) existait déjà dans nos montagnes, une musique popularisé par les paysans haïtiens dans l'île tout entière. Cette musique avait subi déjà certaines modifications quand des paysans coupeurs de canne sont revenus de Cuba avec certains instruments musicaux (le banjo, le tré, le manoumba ou maniboula). Nous sommes au début des années 20.
Plus tard, il y eut inconsciemment un grand brassage culturel entre ces deux peuples frères et, c'est à partir de tout cela que naquit dans notre milieu toute une pléiade de troubadours qui se produisent jusqu'à nos jours dans les bals champêtres.
Au premier abord c'est dans la basse (manoumba ou maniboula) que réside notre compas (un-deux), un rythme qui servait de base pour nos jeunes musiciens qui voulaient se faire connaïtre à l'extérieur.
A vrai dire, rien n'a changé dans la cadence du compas direct jusqu'à présent, et le musicologue Gérald Merceron, de son vivant, avait essayé en vain de l'expliquer à travers une étude (le shampa) malheureusement trop sophistiquée pour être comprise. On comprendra peut-être un beau jour. Depuis toujours, c'est le plein succès pour notre musique entraïnante : aux bals, aux night-clubs, un peu partout. N'était le grand génie inventif de Nemours Jean-Baptiste, cette musique serait encore dans les oubliettes. Et pourtant, jadis, dans les fêtes champêtres, à la campagne, on ne parlait que de ces musiciens troubadours.
A l'époque, on ne pouvait trouver que des musiciens anba tonnel faisant la navette dans presque tous les secteurs du pays, et spécialement dans le Sud entre Jacmel, Petit-Goâve, Aquin, Saint-Jean du Sud, Cavaillon, Anse-a- Veau, etc. en vue de créer une certaine ambiance dans les fêtes champêtres, pour égayer les bats dans les provinces. Qui dit fêtes champêtres dit aussi fêtes religieuses : Sainte-Anne, Saint-Joseph, Saint-Antoine, Vierge Altagrâce...
A la fin des années 30-40, Nemours, pour gagner sa vie honnêtement, prit son vieux banjo et son bâton de pèlerin pour découvrir le sud du pays, spécialement Les Cayes, tout en jouant de la musique. Pour aller jusqu'aux Cayes, surtout en camion-boîte, on pouvait passer toute une journée en route. Mais quand il pleuvait, on pouvait passer plus de huit jours avant d'y arriver. Incroyable mais vrai. Il a fallu attendre jusqu'à la fin de 1971, début 1972, pour que les dirigeants de ce pays fassent quelque chose afin que la route nationale No 2 soit praticable, pour le grand bien de la collectivité.
C'est en parcourant tout le sud du pays que Nemours jouant du banjo (sorte de guitare ronde), Destinoble Barrateau à la clarinette et un certain Tolerme, au tambour, arrivèrent à gagner ensemble leur vie avec la musique. Nemours observait attentivement Destinoble afin de lui voler son métier de clarinettiste. Sans perdre de temps, Destinoble passa au saxophone tout en inculquant quelques notions à Nemours Jean-Baptiste. C'est en retournant à Port-au-Prince que celui-ci reçut son baptême de feu. Il fit sa première grande apparition dans l'Ensemble Atomique où il joua de la guitare en compagnie du grand maître du saxophone, le maestro Webert Sicot qui lui enseigna sans complexe la vraie et la bonne maîtrise de l'instrument.
Comme tous les Loctamar du grand Maurice A. Sixto (vol. IV Madan Sinvilus), Webert Sicot et Nemours Jean-Baptiste prirent tous deux le chemin de Saut d'Eau (Vierge Miracles). Au moment même où l'ensemble Tipico Cibaeno faisait la pluie et le beau temps dans notre beau pays d'Haïti, la nécessité d'un changement s'avérait plus que nécessaire pour une jeunesse qui se cherchait. On réclamait une note typiquement locale; personne ne voulait de cette acculturation musicale. Théodore Beaubrun (Languichatte), dans son petit journal Rasoir, critiquait sévèrement le Tipico Cibaeno afin qu'il se retire du pays. Bref, à chaque carrefour de notre histoire, tout comme dans bien d'autres cas similaires, nous voulons parler de l'Ecole patriotique de 1836 quand la littérature haïtienne était menacée, la devise pour tous nos écrivains et poètes à l'époque était : «Soyons nous-mêmes autant que possible» C'est dans ce grand courant d'idées, utilisant le créole comme langue de la pensée dans notre littérature, que sortit la fameuse Choucoune, l'une des plus belles pièces poétiques de notre barde national Oswald Durand.
Ce fut la même chose pour Nemours. Il réfléchissait calmement sur le sort de la musique haïtienne quand il voyait évoluer sous une tonnelle un petit groupe de musiciens troubadours grenn siwel. Soudain, jaillit au-dedans de lui une douce fraîcheur comme si c'était un torrent pour cette musique de danse dite paysanne que l'on méprisait depuis si longtemps. Sur ce, il suggéra à ce grand génie que fut Webert Sicot de transformer cette musique folklorique entraînante : «Monche Sicot, avek mizik sa a, nou kab fè yon bagay!» Après quelques jours d'ambiance chez Madame la Vierge, ils laissèrent ensemble Saut d'Eau dans le but de revoir leurs anciens amis musiciens pour les inciter à regarder d'une manière lucide vers d'autres horizons, cette fois-ci avec de nouvelles idées.
Arrivé à la capitale, Nemours Fonda le Conjunto Internacional 25 juillet 1955. C'était à la place Sainte-Anne, à l'endroit ou se trouve actuellement la grande boulangerie Chez Maggy. On peut facilement deviner pourquoi Nemours avait choisi un 25 juillet pour former son ensemble. Le lendemain, c'est la fête de grand-mère sainte Anne. Il pouvait donc mieux fêter avec les amis. Pourquoi ce nom espagnol: Conjunto Internacional? Parce qu'avant même l’ère de Nemours Jean-Baptiste, les Haïtiens avaient toujours eu une très grande passion pour la musique espagnole en particulier. De polémique en polémique, un calvaire commença pour l'ensemble avec les autres orchestres traditionnels du terroir. Certains disaient constamment que celui-ci avait écrasé notre danse nationale juste pour faire place à une certaine musique qui n'était pas du tout nôtre. De quelle danse nationale parlaient-ils? Parce que cette dernière n'a tout simplement pas été arrangée à la manière des orchestres dominicains el Tipico Cibaeno ? Hélas, les critiques fusaient de partout... Seul le grand maestro Raoul Guillaume avait compris le bien-fondé de Nemours Jean-Baptiste. Raoul Guillaume disait une fois : «Si ‘m te genyen de pe piston Nemou yo, Walter Thadal et Thalès Jabouin nan jazz mwen an, mwen, ta sove».
Après ce vibrant hommage venu du grand maestro, Nemours fit sortir la très belle chanson tube Aux Calebasses kanpe avec la voix mélodieuse de Louis Lahens.
A Quelques années plus tard, le 22 août, Webert Sicot présenta sur les fonds baptismaux sa fameuse cadence rampas dénommé la Flèche d'Or d'Haïti. Cet ensemble musical devait se révéler tout de suite le rival du compas direct de Nemours Jean Baptiste.
Depuis lors, une polémique fructueuse naquit entre les deux compères pour le bien de la musique haïtienne. Mais d' où venait cette grande confusion entre ces deux chefs d'orchestre qui réclamaient à cor et à cri la création d'un nouveau rythme ? Aucun des jeunes musiciens, après Nemours, ne pouvaient donner une explication concernant cette musique qu'ils jouaient au jour le jour et dont ils étaient devenus de plus en plus routiniers. Cette confusion existait aussi dans le grand public. Nemours exécutait une musique basée uniquement sur le compas direct, mis à part la contredanse et le boléro. Webert Sicot, de son côté, exécutait non seulement la cadence rampas mais jouait aussi d'autres rythmes locaux tels que le pétro, le boléro, le rada.
En fait, il n'y avait pas vraiment de grandes différences rythmiques entre les deux orchestres. Et quand Webert Sicot, au sommet de sa gloire, cria à tue-tête la supériorité de son rythme cadence rampas, il rappela à Nemours, dans une chanson polémique à succès, qu'il fut dans le passé le professeur du créateur du compas direct. Quelques années plus tard, au night-club Cabane Choucoune rempli comme un neuf, Nemours donna la réplique.
En principe, ils jouaient tous deux la même cadence. En d'autres termes, le compas direct et la cadence rampas sont deux frères siamois. Le maestro Webert Sicot, pour faire marcher sa cadence, au lieu de jouer en 1-2 avec sa basse comme son confrère Nemours, s'exécuta en 1-1-2 pour une même durée (soit deux cloches pour une noire). Malgré une flambée des groupes musicaux appelés communément «racines», le compas direct reste et demeure l'un des plus beaux rythmes dansants, une musique combinée d'une richesse inégalée et d'une simplicité sans pareille.
En toute vérité, Nemours Jean-Baptiste n'a jamais inventé le compas direct, musique ancestrale qui avait influencé nos frères dominicains qui créèrent une méringue haïtiano-dominicaine (Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme). En outre, par son génie musical inné, Nemours a orchestré ce rythme à la manière des orchestres dominicains. Le Conjunto Tipico Cibaeno, avec sa cadence (1-2), reste et demeure un rythme haïtien. Au départ, il l'a arrangé avec amour par une chance hors du commun, parce que son tambourineur favori, Coetzer Duroseau, ne pouvait battre d’autres rythmes à la mode, comme les autres percussionnistes du pays, seulement le compas, Toujou sou konpa. En fin de compte, Nemours a expliqué lors d'une interview accordée à Radio Métropole, comment il avait pu découvrir le compas direct, rythme commercial. C'est en allant à la fête de la Vierge miracle à Saut d'Eau qu'il put le découvrir en observant attentivement nos troubadours...
En matière d'innovation musicale, Nemours Jean-Baptiste restera toujours grave dans notre mémoire de peuple comme l'un des plus grands maestros que nous ayons eus jusqu'à présent. Hélas, comme beaucoup de nos artistes, il est mort esseulé, dans l'oubli et dans l'incompréhension. «Le génie n'a qu'un siècle, après quoi il faut qu'il dégénère.»
(Source: Le compas direct, la vraie musique entraînante de tous les temps de Thony Louis-Charles)

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Commentaires :
Ils ne sont pas légions les textes dignes de ce nom qui peuvent servir à encadre et fournir de bases théoriques à la compréhension de notre rythme national le KONPA (Compas). Nous devons cependant saluer les efforts qui sont réalisés au niveau des foires d’opinion ou le lecteur-fan peut puiser des éléments pour construire et retracer l’histoire de la musique populaire haïtienne. Dans ce contexte konpa magazine que l’on peut consulter sur le réseau est d’un apport singulier.
Il manque cependant une base écrite pouvant servir de référence suprême et absolue afin d’évaluer et corriger ce qui se dit et ce qui se croit.
C’est dans le but d’augmenter et d’assurer une plus grande expansion a ces éléments parus dans cet article de Thony Louis-Charles que nous le rediffusons après l’avoir lu sur le forum de moun.com (
http://www.moun.com)... Bonne lecture !

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