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dimanche 14 octobre 2007

Le tambour, sa peau et son histoire

Sanba Zao rappelle que la notion de « laviwon piebwa » est un principe de non retour, un voyage « one way ». Il se souvient qu'en 1997 il a été à Nantes, en France, et qu'il en a profité pour visiter la cellule de Toussaint Louverture, au Fort-de-Joux. Il avait évoqué un chant dahoméen au réduit humide où l'Homme de Bréda est mort, seul, la tête appuyée contre une cheminée comme pour transmettre, dit Sanba Zao, « le principe du savoir. » Des concepts de « demanbre » et de « la vente d'un choisi », Sanba Zao s'est un peu étendu sur la notion de l'éclatement du vaudou, du caractère militaire des rites et des différences rythmiques d'un « lakou » à un autre.
Sanba Zao a un autre talent. On ne peut pas dire qu'il a de l'éloquence. Sanba Zao a une énergie particulière de la communication. Est-ce sa pratique de professeur à l'Enarts ou le fait de se colleter à la réalité populaire du pays qui nous le présente dans l'évidence de la proximité ? Ce qui est convaincant, c'est que cet homme dans la cinquantaine a de l'énergie à en revendre.S'il se complait dans les anecdotes de l'histoire de la musique Racine en Haïti, il est très méthodique aussi bien dans ses recherches sur le plan ethnographique que dans l'explication technique des rythmes de la musique populaire ou du Mouvement Racine dont il est, incontestablement, un des pionniers.
Au cours de sa présentation le samedi 6 octobre à la Bibliothèque du Soleil en présence d'une quarantaine d'étudiants et de professionnels, le fondateur du groupe Sanba Yo est parti de l'histoire de la terre haïtienne qui avait le nom de « Bohio, c'est-à-dire matrice originelle » pour faire mieux comprendre aux participants des Ateliers la valeur du tambour, la naissance, le développement et les évolutions de la musique haïtienne.
De l'Afrique ancestrale, il retient le phénomène de l'esclavage qui « est surtout une déstabilisation géographique et une perte de contact avec la terre mère. » Sommes-nous tous des...« exilés » ? Cette question soulève la notion contemporaine d'enracinement caribéen contre l'indigénisme africaniste.
Il rappelle que la notion de « laviwon piebwa » est un principe de non retour, un voyage « one-way » pour d'autres terres. Il se souvient qu'en 1997 il a été à Nantes, en France, et qu'il en a profité pour visiter la cellule de Toussaint Louverture au Fort-de-Joux. Il avait évoqué un chant dahoméen à la cellule où l'homme de Bréda est mort, seul, la tête appuyée contre une cheminée, comme pour transmettre, dit Sanba Zao, « le principe du savoir. » Des concepts de « granbwa », de « demanbre », de « la vente d'un choisi », Sanba Zao s'est un peu étendu sur la notion de l'éclatement du vaudou, du caractère militaire des rites et des différences rythmiques d'un « lakou » à un autre.
Précisant être né le 13 septembre 1957, 9 jours avant la prise du pouvoir par François Duvalier, le 22, Sanba Zao a fait le portrait d'une époque marquée par les préjugés de couleur et de classe à l'Université, par l'idée répandue de « premier baka de la République » dont s'enorgueillissait papa Doc. Il a mentionné les coups d'Etat intempestifs, le macoutisme anarchique et la clandestinité imposée par ces temps sombres où l'on entendait « La Voix de l'Amérique » au petit jour, dans une chambre hermétiquement close.

Contre toute attente, c'est par la musique française qu'il dit avoir commencé à chanter tout en spécifiant qu'à « l'époque nationaliste de Papa Doc on entendait plutôt les chansons d'Eddie Gorme, de Los Diplomaticos et de Miguel Acevez Mejia .Il se souvient qu'il y avait aussi, par des dimanches nostalgiques, des airs de Tino Rossi à la radio.
Sur le plan national, notre musique, soutient Sanba Zao, était représentée par Raoul Guillaume, le groupe Issa El Saïeh, le Jazz des Jeunes, Dodoph Legros et Lumane Casimir. Il n'oublie pas Toto Bissainthe, Martha Jean Claude, Nemours Jean Baptiste, Wébert Sicot et le style Tipico dont, sur le tambour, il a montré les variations qui on produit d'un côté le Compas Direct et de l'autre le "Cadence Rempas". Il considère ce dernier rythme « plus sophistiqué, plus élaboré que le compas plus facile et plus popularisé. »
Mais, qu'en était-il des instruments traditionnels, du folklore et de notre identité musicale ? Sanba Zao informe que « le lambi, le bambou, le cornet en tôle, le tambour accompagnaient les instruments harmoniques. » En soulignant que la culture populaire était clandestine dans les années 50, sous Paul Magloire, malgré le boom touristique, il précise que le vaudou était relégué à l'arrière-plan, que le français bousculait le créole dans ses derniers retranchements, que l'évangélisation des sectes religieuses gagnait du terrain. Il argumente que François Duvalier « avait du respect dans toutes les religions ». Pourquoi ?
De peau et de rythme
Les changements, commente Sanba Zao, commencent chez lui en passant par Aznavour, Ferrat et Adamo à James Brown, le Pop américain, le blues de Harlem et les nuits de discothèque, à Pétion-Ville. Il a cité, pour le souvenir : Michèle's Scotch, Rétro Folies, entre autres. Dans la vingtaine, il dit avoir rencontré Yvon Louissaint, « un inoubliable artiste », reconnaît-il. A partir de 1975, il diminue sa fréquentation des discothèques en s'intéressant sérieusement au chant vaudou.
Les expériences instrumentales ont continué avec détermination du tambour à la guitare. C'est en 1982 que d'heureuses rencontres se font avec Denis Emile, Chico Boyer qui pratiquaient le « jazz n' blues » et expérimentaient le rythme vaudou. Il cite un peintre comme Jean René Jérôme, un musicologue tel Gérald Merceron parmi les premiers à accueillir le Vodou Jazz avec enthousiasme.
Il en profite pour donner des précisions sur les rituels sacrés des « lakou » et leur rapport avec le tambour. « A Soukri Danache, soutient-il, c'est le tambour Petro, le rituel du feu, qui prédomine. » Il donne l'exemple d'Azor comme le vrai prototype de la musique Petro. Sanba Zao a avancé de précieuses informations sur le matériel avec lequel on fabrique le tambour qu'il considère comme « une matrice instrumentale ». Il souligne que la qualité du bois est déterminante dans la netteté du son. Au sujet de la surface du tambour, il argumente que « la peau de boeuf est liée au rite rada, la peau de cabri au rituel Petro, la peau de mouton encore au Petro. Le tambour Asòtò représente le charbon du temple et symbolise des rituels militaires. » Sanba Zao a parlé des lwa peu connus du panthéon vaudou comme Keviesou, Bazoumennen et du rituel du feu qui s'origine en Angola.
A partir de ces données historiques et techniques, la part réservée à l'histoire de la musique Racine était plutôt mince, malgré des questions qui voulaient relancer une polémique intelligemment évitée.
Commencé à partir de 4h p.m., l'Atelier autour des savoir-faire du tambour, des rituels vaudous et de la musique Racine s'est terminé jusqu'à 7hp.m. Sanba Zao ne se fatiguait pas de parler de la drogue, le joint, chez les artistes en général et les musiciens Racine en particulier, de la relation entre la politique et la mouvance Racine.
Après le romancier Gary Victor, le musicien Théodore Beaubrun Junior, Sanba Zao est le troisième intervenant aux Ateliers du Soleil qui recevront ce samedi 13 octobre le père Castel Germeil autour du thème : « L'ambiguité du religieux dans la pensée humaniste de Jacques Roumain ». Le 17 octobre l'esthéticien et critique Mérès Wèche et le Dr Yves Dorestal parleront respectivement de l'Esthétique caribéenne dans l'oeuvre de Tiga et de « Jacques Roumain et l'Ethnologie haïtienne ».
Pierre Clitandre
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=49625&PubDate=2007-10-13

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